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Entretien avec Louis-Julien Petit, réalisateur du film « Discount »

discount le film

Nous vous avons parlé de ce film il y a peu. C’est avec Discount que Louis-Julien Petit signe son premier long-métrage. Il met en scène la rébellion positive de cinq employés d’un magasin hard-discount qui luttent, à leur manière, contre le gaspillage alimentaire et la mise en place de caisses automatiques menaçant leurs emplois. À travers cette résistance citoyenne, c’est l’entraide, la solidarité, l’amitié mais aussi la bonne humeur qui prennent le dessus.

Nous vous offrons aujourd’hui un entretien avec ce réalisateur au grand cœur.

Entretien avec Louis-Julien Petit, le réalisateur 

PetitComment est née l’idée de Discount ?
J’avais envie de faire un film sur les conséquences positives que peut engendrer la crise financière chez les gens, sur l’entraide et la solidarité qui peuvent en naître, avec des personnages qui prendraient leur destin en main. En cela, ma rencontre avec Anne-Marie Costa a été déterminante. En 2011, son histoire avait défrayé la chronique. Caissière dans un hypermarché, elle avait été accusée de vol par sa hiérarchie pour avoir récupéré un ticket de promotion abandonné par un client. Je suis allé la voir chez elle en Lorraine, à Homécourt. Je m’attendais à rencontrer quelqu’un de déprimé et d’abattu, mais au lieu de cela j’ai découvert une personne gaie, radieuse et vivante. Elle m’a appris que, suite à la médiatisation de son histoire, elle avait reçu un grand nombre de témoignages de soutien, qu’un véritable élan de solidarité était né autour d’elle : certains lui envoyaient de l’argent, des bons de réduction, d’autres lui ont même proposé de l’emmener en vacances avec eux. J’avais déjà commencé à écrire le scénario, mais c’est Anne-Marie qui m’a donné cette tonalité positive.

Dans votre comédie sociale, vous montrez justement la rébellion silencieuse de cinq employés d’un hard-discount qui vont lutter, à leur manière, contre la mise en place de caisses automatiques menaçant leur emploi.
C’est à l’initiative de Gilles, interprété par Olivier Barthélémy, que Christiane (Corinne Masiero), Alfred (Pascal Demolon), Momo (M’Barek Belkouk) et Emma (Sarah Suco) s’unissent pour créer clandestinement leur magasin. Ils savent qu’ils vont bientôt être remplacés par les caisses automatiques et le discount drive et ils vont tous se battre avec acharnement pour garder la seule chose qu’il leur reste : leur dignité. On est à un point de non-retour dans la déshumanisation de notre société. Alors, pour notre petite bande, vendre ces produits à prix cassés dans leur Discount Alternatif, c’est à la fois une sorte de prime de licenciement et une manière de refuser ce système. Lorsqu’ils créent ce magasin de fortune, ils portent tous un badge avec leurs prénoms. Un moyen d’exister, de retrouver l’estime de soi, d’être reconnu.

discount01Au début du film, Christiane dit à ses camarades, à propos du hard-discount : « Voler des voleurs, c’est pas voler ». Une phrase un peu extrême, non ?
Pour eux, récupérer ces produits encore consommables mais destinés à être javellisés, ce n’est pas du vol, mais un acte de résistance citoyenne. S’ils franchissent la ligne de la légalité, c’est pour une cause qu’ils considèrent juste. À travers elle, ces héros anonymes et faillibles vont se réapproprier leur vie, reprendre confiance en eux et se révéler.

Gilles, Christiane, Alfred, Emma, Momo et même Sofia Benhaoui, la directrice de la grande surface incarnée par Zabou Breitman, ils ont tous des fêlures, des blessures.
J’ai essayé de faire exister des personnages complexes, à l’image de notre époque. Tous sont profondément cassés par la vie mais ne se plaignent pas, bien au contraire, ils font preuve d’une force et d’un courage qui les poussent à aller de l’avant. Gilles prend soin de son père, Christiane croule sous les dettes. Quitté par sa femme Alfred n’a plus de lien avec sa fille, Momo envoie son argent à son père en Algérie mais n’en n’a pas suffisamment pour aller lui rendre visite, Emma élève seule son fils de six ans, quant à Sofia Benhaoui, qui dirige son discount avec autorité, elle doit gérer la pression de supérieurs qui lui assènent « ton magasin c’est ta responsabilité ». Lorsque j’ai présenté le film en province, la directrice d’un magasin est venue me voir pour me confier que j’étais bien en deçà de la réalité…

Discount est un film généreux, une formidable aventure humaine portée par des acteurs qui incarnent « ces petites grandes âmes » comme disait Victor Hugo, avec un mélange unique d’âpreté réaliste, de pudeur et d’humour. Comment Corinne Masiero, Olivier Barthélémy, Pascal Demolon, Sarah Suco et M’Barek Belkouk se sont-ils imposés à vous ?
J’avais envie que les spectateurs entrent en amour et en amitié avec les personnages. Pour moi, c’est le casting qui semblait le plus juste par rapport au propos du film. Ce sont tous des « acteurs travailleurs » qui ne pensent qu’aux personnages sans jamais se mettre en avant personnellement. J’ai écrit le rôle de Christiane, en partie inspiré par Anne-Marie Costa, pour Corinne Masiero. Corinne, je l’avais rencontrée sur le tournage d’À l’origine de Xavier Giannoli, sur lequel j’étais second assistant. C’est une femme authentique qui a une incroyable puissance de jeu et une belle profondeur. Sarah Suco est de la même trempe, pour moi c’est une « petite Masiero». Pascal Demolon a apporté beaucoup de fragilité, de drôlerie et d’épaisseur à Alfred. Quant à Olivier Barthélémy, c’est un vrai caméléon, tout en étant charismatique et viril, il dégage pudeur et fragilité. M’Barek Belkouk est comme un enfant qui rit de tout, il apporte une bouffée de joie à ses aînés.

Avez-vous une méthode particulière pour diriger les acteurs ?
Je ne fais aucune répétition. Au cours de ma carrière d’assistant à la réalisation, il y a une chose que j’ai toujours détestée et que j’ai si souvent entendue, c’est : « on a une super bonne répétition, on va la tourner ! ». Comment peut-on passer à côté d’une belle répétition, et pourquoi ne pas l’avoir tournée ? On le sait bien, il n’y a jamais deux prises identiques. Je ne fais pas non plus de lecture de scénario et les acteurs ne se sont pas rencontrés avant le tournage. En revanche, je parle longuement à chacun d’eux des personnages qu’ils vont incarner. La direction d’acteur est ce que j’aime le plus au monde, à commencer par celle de la figuration. Pour moi, la mise en scène de « l’arrière-plan » est cruciale et aussi importante dans la dramaturgie que l’action principale.

discount02À la fois une comédie et un film militant, Discount s’inscrit dans la lignée des films de Ken Loach et de Stephen Frears.
Je suis un grand fan de leur cinéma et fier que l’on puisse me comparer à eux. Bien que leurs comédies sociales soient typiquement anglo-saxonnes, je comprends que l’on puisse faire le parallèle avec Discount. J’ai voulu y dépeindre une microsociété pressurisée, de la même manière que la société anglaise a pu l’être dans sa période post-Thatcher, en mode « survie ». La société en crise est extrêmement dure et individualiste, mais si j’ai voulu montrer cela, je me suis surtout attaché à pointer la manière dont on peut résister aux humiliations, au mépris, grâce à la solidarité, à l’amitié, à l’humour. D’autres longs-métrages tels que Les virtuoses de Mark Herman ou encore Pride, de Matthew Warchus, s’inscrivent dans la même lignée.

Quelles recherches avez-vous effectuées pour évoquer avec autant de justesse les conditions de vie difficiles des employés du hard-discount et les méthodes parfois sauvages de la grande distribution ?
Je me suis énormément documenté. Les blogs de caissières ont été ma principale source d’informations. Ils sont comme des bouteilles jetées à la mer, des appels au secours. Elles y évoquent, entre autres, les chronométrages du temps d’encaissement ou du temps de pause pour aller aux toilettes. Un directeur a imposé à l’une d’elles de nettoyer sa caisse tous les soirs avec une brosse à dents imbibée d’eau de javel. Je m’en suis directement inspiré pour le personnage de Christiane, qui porte une brosse à dents autour du cou. J’ai également recueilli le témoignage de vigiles. Au début du film, j’ai souhaité montrer le côté carcéral du discount avec les fouilles au corps, les caméras de vidéosurveillance, un protocole strict. Dans cette filière, parce qu’ils sont moins de 50 employés, il n’y a pas de syndicat en interne, donc pas vraiment de moyen de se défendre.

Le sigle SBAM affiché sur un poster à l’adresse des caissières, vous l’avez inventé ?
Absolument pas, il s’agit d’un slogan largement utilisé et incontournable dans la grande distribution, que les employés doivent suivre à la lettre : « Sourire – Bonjour – Au-revoir – Merci » !

À travers le parcours de vos cinq antihéros, vous dénoncez le gaspillage alimentaire, sujet d’actualité et véritable fléau de notre société de consommation. Où vous êtes-vous approvisionné pour remplir les rayons et les palettes de votre hard-discount ?
Certaines enseignes nous ont fourni des produits, que nous avons ensuite redonnés à des banques alimentaires. Jeter aurait été un comble pour un film qui dénonce le gaspillage alimentaire ! Il était malgré tout indispensable de filmer les produits qui sont détruits et aspergés d’eau de Javel par les employés du discount. D’habitude, dans les reportages, ils sont floutés. Mais ici, pour faire adhérer le spectateur au combat de mes personnages, il fallait montrer la destruction des aliments dans la benne, en donner une vision crue certes, mais réaliste.

Selon vous, comment arriver à mieux lutter contre le gaspillage alimentaire ?
Avec Discount, je pose des questions, j’ouvre le débat pour, modestement, sensibiliser, éveiller les consciences. Je suis réalisateur et pas homme politique. Actuellement, les choses commencent à bouger, beaucoup de grandes surfaces font déjà des dons auprès des banques alimentaires et c’est une très bonne chose. Il faudrait que cette prise de conscience se généralise…

discount03Où avez-vous tourné Discount ?
La plus grande partie a été tournée dans la région Nord-Pas-de-Calais et l’ensemble des scènes dans le discount à Lamorlaye, dans un supermarché désaffecté. Mais miracle, le générateur fonctionnait encore lorsque nous y sommes entrés ! Nous avons complètement reconfiguré le lieu, travaillé sur l’espace avec un alignement des produits à la mode anglo-saxonne, plus esthétique à mon goût. Je suis un fan du photographe Andreas Gursky, en particulier de son célèbre diptyque photographique 99 Cent. Je voulais une esthétique réaliste et une mise en scène nerveuse. On tournait trente à quarante plans par jour. C’est énorme mais grâce à cela, une énergie particulière se dégage de chaque plan.

Difficile de trouver un financement pour un premier long-métrage ?
Très, car en plus d’être mon premier film, il était aussi le premier de ma productrice, Liza Benguigui, et de sa société, Elemiah. Ajoutez à cela que nous avions tous deux moins de trente ans à l’époque, ce qui réduit d’autant nos chances d’être considérés, de paraître crédibles et de convaincre des partenaires potentiels de rejoindre l’aventure. Mais Liza a su être un véritable roc, imperturbable même par vents contraires. Nous nous sommes démenés, main dans la main, pendant près de 5 ans pour donner vie à ce projet. Dans l’esprit de solidarité du film, nous avons aussi lancé une campagne de financement participatif qui nous a permis de récolter 25 400 euros et de compter 184 coproducteurs supplémentaires sur le film !

Quelle était votre vie avant Discount ?
J’ai l’envie de faire du cinéma depuis l’âge de 13 ans. Je suis entré en seconde au lycée du Sacré Cœur d’Aix-en-Provence parce qu’il offrait une option cinéma audiovisuel. Mon professeur de cinéma était à la fois cinéphile, cinéaste, sexologue… Et il m’a fait connaître Pialat, Sautet, Sergio Leone… Dans le cadre d’un partenariat avec ce lycée, j’ai pu aller au festival de Cannes. À 17 ans je montais les marches avec Rosanna Arquette à mon bras parce qu’elle n’avait pas de cavalier ! Et j’assistais à la projection officielle de Mulholland Drive, assis derrière David Lynch ! En 2004, je suis entré à l’ESRA. Lorsque j’ai débarqué à Paris, j’enchaînais les stages dans des boîtes de production et les cours du soir. À 21 ans, j’ai réalisé mon premier court-métrage, Mes chers enfants, inspiré par ma famille. Une histoire à la Ettore Scola avec Nicoletta, Didier Flamand et Olivier Baroux. Deux courts-métrages plus tard, et après avoir travaillé pendant plus de dix ans comme assistant mise en scène sur une trentaine de longs-métrages, à la fois français et internationaux, je réalise enfin mon premier long-métrage à 30 ans.

« Solidaires ! » Ce mot qui revient comme un leitmotiv dans le film, va sûrement devenir culte. Un vrai cri de ralliement et d’entraide.
Tant mieux ! C’est l’emblème du film.

Vous pouvez aussi découvrir une autre interview filmée par notre partenaire La Chaîne du cœur.

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Sources : agence de communication www.bubblingbulb.com et www.leblogducinema.com