Ray Monde est une artiste polyvalente, peintre, écrivain, auteur. Elle est diplômée en Arts Plastiques et était élève libre à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs (pas les Beaux-Arts). Depuis 1990, ses œuvres s’exposent dans le monde entier. C’est son projet Caress the World qui a attiré mon attention et elle a eu la gentillesse de répondre à mes questions.
Thierry : Bonjour Ray, je t’ai découverte à travers ton concept Caress the World et des photos de Sils Maria. Peux-tu nous dire comment est né ce projet ?
Ray Monde : Je suis convaincue depuis longtemps que l’art doit quitter les galeries et les institutions pour s’inscrire dans la vie. Je ne conçois pas non plus la vocation de l’artiste comme un exploit solitaire et égocentrique. Je suis convaincue que nous devons désormais œuvrer dans le partage et la complémentarité. Le projet artistique Caress the World nous engage dans une éthique philosophique universelle pour entrer dans la cité idéale du Monde à la découverte du vrai lien humain. Le projet fait appel à l’intelligence du cœur et demande une grande ouverture d’esprit. En ces temps extraordinaires que nous vivons, il s’agit d’incarner et de faire rayonner « l’énergie lumière » pour exprimer une nouvelle réalité terrestre de plus en plus équilibrée. L’art est apte à déclencher un processus d’illumination de conscience du soi supérieur, non égotique. Caress the World ouvre une fenêtre temporelle et incite l’humain à retrouver, à l’aide d’une nouvelle conscience, par la voie du cœur, sa vraie nature.
T : Le projet a été lancé sur un briseur de glace en route pour le pôle Nord… Tout un symbole à l’heure où cette terre si importante pour la planète fait l’objet de tant de convoitises.
RM : Tout d’abord le pôle Nord n’est pas une terre, mais une calotte glacière recouvrant notre Terre, contrairement au pôle Sud qui lui représente une terre véritable, le sixième continent. C’est à cet endroit que la boucle se terminera dans deux ans, quand les dernières mains atteindront le deuxième point unique sur la Terre.
En effet, ce n’est qu’au pôle Nord et au pôle Sud que toutes les longitudes se rejoignent et toute la masse de la Terre est concentrée dans un point virtuel et unique. C’est pourquoi pour envelopper au mieux Gaïa, les caresses des mains vont la recouvrir du 90° nord au 90° sud. De plus, il me semblait important de lancer, à ma connaissance, le premier projet artistique jamais dévoilé au pôle Nord, particulièrement dans ces moments où le réchauffement malheureux de notre planète fait miroiter des gains potentiels, économiques, dans cette région préservée pour l’instant. Quel endroit pouvait être plus symbolique pour transformer et sublimer la convoitise des peuples et la réunir dans un projet fédérateur et porteur d’espoir !
T : Si l’on comprend bien le message universel des couleurs associé aux six continents, comment la Terre va-t-elle prendre nos caresses ?
RM : Selon moi, la Terre a besoin de caresses. L’humanité a besoin d’aide spirituelle, morale, physique. Aujourd’hui, il convient d’essayer d’être de plus en plus vrai, tolérant, dans l’amour et aussi d’abandonner toute forme de jugement.
Caresser le monde serait une façon d’agir sur les affaires catastrophiques du monde, celles-là même qui induisent un sentiment d’impuissance général. Caress the World est une manière de remédier au flot chaotique d’informations négatives.
T : Comme tu le rappelles avec cette citation de Bertolt Brecht, « l’art est un marteau pour donner forme au monde ». Crois-tu en l’art militant ?
RM : Brecht faisait du théâtre comme Nietzsche faisait de la philosophie, à coups de marteau. Le marteau devient dans les Noces de Brecht, comme dans la philosophie de Nietzsche, l’arme du démolisseur. Elle sert à détruire pour faire table rase. Dans les deux cas, cela n’a rien d’assommant, bien au contraire, c’est dans un grand éclat de rire que tout vole en éclat. L’art militant à venir pourrait se situer dans cette optique-là.
T : J’ai été impressionné par ta formation artistique et un peu jaloux de ne pas avoir été moi-même un auditeur de Foucault et Deleuze. Ton message est à la fois simple et universel. La simplicité serait elle la clef de la compréhension ?
RM : J’ai eu de la chance d’arriver à Paris pour mes études au début des années 80. Grâce à ces cours et séminaires que tu évoques, j’ai compris tôt et vite ce que voulait dire « se transformer, s’arracher à soi, se soucier de soi, expérimenter ses limites, puiser dans sa folie et en faire sa meilleure et plus noble amie ; se délivrer des chaînes de la quotidienneté. » Ces enseignements m’ont ouvert des horizons probables et m’ont permis d’envisager une autre cartographie possible… peut-être celle, en fin de compte, de la simplicité. J’ai toujours constaté que tout ce qui était pertinent relevait forcément de la simplicité. Par contre le chemin pour y accéder est long.
T : Ces images de mains flottant dans le vent provoquent un sourire immédiat. Quel sens aimerais-tu que les gens y trouvent ?
RM : J’ai gardé en moi cette perception de l’espace dont est propriétaire l’enfant. Son point de vue est beaucoup plus bas et ses yeux levés captent des perspectives différentes. Dans le regard de ce dernier le ciel et la terre se confondent dans une même étreinte. L’étreinte le transporte… et un nouvel espace s’ouvre. C’est pour lui l’heure où s’inscrit l’élan. Mes intentions artistiques quant au projet artistique Caress the World naissent de cet état d’esprit et mes pensées ne connaissent pas d’horizon autre que la Planète bleue ou ce que nous appelons communément le Monde. C’est ce sens-là que j’aimerais partager avec les gens.
T : Pourquoi avoir fait de ces mains le symbole de ton projet ?
RM : La main établit le contact. Le contact HU-MAIN, comme nous le dit la langue française. La main caressante ! Quoi de plus harmonieux ? Au-delà du verbe, au-delà du regard, la main caressante fait sentir l’Amour infini. Concrètement depuis 2 ans, l’organe main s’est imposé comme emblème de mon atelier. La main dessinée, découpée, ensuite peinte et suspendue dans l’espace. Des fils lient ces mains entre elles et l’œuvre qui se construit au quotidien ne veut pas de limites. À n’importe quel endroit intérieur ou extérieur, on peut venir installer ces mobiles suspendus et reliés entre eux. Mes fils avec les mains transmettent des vibrations. Ces vibrations sont des caresses et entretiennent une espérance. Cette espérance est un message solaire en faveur du Monde et induit la possibilité d’un événement spirituel à l’échelle planétaire. Ce message s’adresse à tout le monde : c’est un hommage et un merci à notre planète, un rappel que nous sommes désormais unifiés à notre milieu naturel et non plus divisés comme l’a voulu l’Ancien Monde.
T : Tes expositions sont éphémères ou permanentes, quels seraient tes souhaits pour les prochaines ?
RM : J’espère qu’il y aura autant d’installations éphémères que définitives. Tout dépendra de l’espace, du lieu, de la configuration. Pour moi, il s’agit de poser un acte en profilant ces découpes de mains tel un réseau vivant et illimité à travers la planète. Les interventions vont dépendre de l’appui financier que je trouverai auprès de partenaires et de sponsors. Il y aura aussi des manifestations pouvant servir de support publicitaire en faveur de la diversité culturelle. Le projet artistique Caress the World sollicite dès à présent des partenaires susceptibles d’être impliqués dans l’aventure (médias, institutions…).
T : Crois-tu que nous pouvons changer le monde ?
RM : À titre individuel, nous pouvons tous changer notre propre monde, nos visions des choses. J’espère que le projet que je suis en train de mettre au monde servira de catalyseur pour éveiller la conscience d’unité sur notre Terre. Devenir de plus en plus conscient, bousculer nos croyances, ouvrir son cœur sont à mon avis de bonnes prémisses si nous pensons vouloir changer le Monde.